Le tendon d’Achille de Kevin Mayer était donc trop fragile. Le double champion du monde de décathlon se donnait moins de 50% de chance de finir la compétition aux championnats du monde de Budapest. Il aura tenu sur le 100m (10’’79) et sera parvenu à effectuer ses trois sauts à la longueur (7,25m au mieux). Avec son entraîneur Alexandre Bonacorsi, il n’a pas hésité à arrêter avant l’accident.

Kevin, la raison a pris le dessus sur l’envie de continuer ce décathlon ?

Beaucoup de gens disent que le décathlon est dur en règle générale mais c’est surtout dur d’arrêter… Je savais que ça n’allait pas le faire à la longueur et je me disais à chaque saut : « Allez, encore un dernier, kiffe ! » Clairement je sais que les gens attendent beaucoup de choses de moi, mais si je me concentre sur ce que moi je ressens, c’est incroyable ce qu’on vit en championnat, l’ambiance, la transe, etc… Mais bon, au-delà de la douleur, on sentait que ma jambe gauche ne faisait pas le travail de d’habitude. Au 100m aussi, la jambe gauche amortissait beaucoup plus. Il faut accepter. Je savais dans quoi je m’embarquais, cela a été quinze jours d’attente vraiment difficiles. Il n’y avait aucune assurance que ça allait tenir. On a su arrêter au bon moment pour que ce ne soit pas une grosse blessure. Et que mon corps n’ait aucune dette pour les Jeux de Paris.

Dès la série du 100m, vous avez compris que ce n’était vraiment pas possible, donc ?

Le temps me l’a indiqué, déjà. Et après les 30 premiers mètres, quand je me relève, je ne sentais rien de ce qui se passait à gauche. J’avais quasiment une contracture au mollet droit à cause de ça. La douleur était forte.

« Quand tu as l’animal que j’ai en moi, c’est difficile de le freiner et de le tuer »

Première conséquence, vous abandonnez, donc. Mais par ricochet, vous n’êtes pas qualifié pour les Jeux olympiques de Paris…

8460 points quoi (les minima qu’il faudra réaliser pour se qualifier aux JO). Je sais que c’est un décathlon que tout le monde ne peut pas faire, où je devrais faire des bonnes épreuves. Mais c’est à 85% de mes records. De toute façon, cela me fera du bien d’avoir un décathlon pour me préparer aux Jeux. Je ne pense même pas aux minima. Comme à la Réunion avant les Jeux de Tokyo. J’avais des blocages à la perche, j’ai fait 4,60m et malgré tout j’ai fait 8560 points, donc 100 points d’avance sur les minima. Du coup, à la place de faire les championnats de monde indoor, je ferai un décathlon. Ou les deux si tout va bien.

Est-ce qu’avoir l’objectif des Jeux olympiques atténue votre déception de Budapest ?

A chaque fois, mon corps envoie les mêmes signaux avant les Jeux. C’était le cas aux mondiaux de Pékin en 2015, à Doha en 2019. Ce n’est pas une excuse mais à chaque fois je rate. Mon corps inconsciemment me dit arrête de faire le con et de vouloir défoncer tout le monde. Je suis plus frustré par rapport à mes sensations qui sont excellentes. Je ne fais pas de l’athlé pour les médailles mais pour les émotions. Clairement, je voulais me faire plaisir et si ça passait c’était tant mieux. Et c’était dur d’abandonner. Quand tu as l’animal que j’ai en moi, c’est difficile de le freiner et de le tuer. J’en avais des tremblements.

Propos recueillis par Aurélien Tiercin, à Budapest

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