Après avoir quitté le banc de Tourcoing en fin de saison sur une demi-finale de championnat de France, Mauricio Paes a révélé à RMC Sport qu’il part entraîner le club ukrainien de Horodok, champion d’Ukraine 2022 et finaliste 2023. Le technicien franco-brésilien raconte ses interrogations puis son choix.
Il n’y a pas d’âge pour prendre des risques, choisir un grand projet et changer radicalement de vie. C’est ce qu’a fait Mauricio Paes du haut de ses 60 ans. Après mûres réflexions, le technicien franco-brésilien a choisi d’entraîner « un club ukrainien qui participe au championnat ukrainien », Horodok en cyrillique (ou Gorodok selon notre alphabet latin).
Après l’étonnement, le coach multi-titré a pris le temps de comprendre la proposition et d’aller sur place : « Ma première réaction quand mon agent m’en a parlé fut ‘waouw’. Vu ce qu’on voit à la télé, il y a une réticence et puis fin juin, on a pris l’avion depuis Lille, direction Cracovie en Pologne, raconte Mauricio Paes. Un peu plus de deux heures plus tard, nous étions dans un petit village entre Lviv et la frontière polonaise : Horodok. J’ai rencontré les salariés du club, les collaborateurs du propriétaire dont son plus proche représentant, l’ancien joueur polonais Piotr Gacek. Ils sont attachants, positifs et ambitieux. Je me suis aperçu que les habitants essayent de vivre le plus normalement possible. J’ai senti le déclic au plus profond de mon être. »
Si le club ukrainien, leader de la saison régulière mais battu en finale par Prometey, n’existe que depuis 3-4 ans, son propriétaire est aussi le sponsor principal du club de Varsovie où évolue Kevin Tillie. Et à la question concrète de savoir s’il ne se met pas en danger pour aller vivre dans un pays en guerre, la réponse tombe. Simplement, humblement : « Après les nuits agitées qu’on a connues ces derniers jours en France, on se demande quel est le pays le plus dangereux, sourit l’enfant de Rio de Janeiro. Concrètement, on dit tellement souvent qu’on veut aider l’Ukraine que c’est une fierté, pour moi, de participer d’une manière infime à cette vie quotidienne. C’est un peuple courageux qui mérite le respect. A mon petit niveau, je veux les aider à vivre normalement, je voudrais susciter un peu de joie loin des soucis de la guerre, leur apporter du bonheur d’être ensemble autour du sport. On va se battre pour rendre le monde meilleur, conclut l’ancien coach des Panasonic Panthers, au Japon. »
« On en a beaucoup parlé avec mon épouse et les trois enfants »
Un choix qui dépasse le cadre du sport. « Ce projet va au-delà d’entraîner une simple équipe et d’adhérer à un projet ambitieux. Il faut (re)construire le volley dans un pays en guerre avec des joueurs de qualité. Je suis excité et fier d’appartenir à ce projet. » Restait alors à convaincre la famille : « On en a beaucoup parlé avec mon épouse et les trois enfants. Les deux aînés évoluent dans leurs championnats professionnels respectifs (Kellian à Paris et Loane à Gran Canaria). Mon épouse et ma dernière fille restent à Tourcoing car elles ont leurs activités et la fac. Je devrais partir en Ukraine autour du 15 août. »
Bouleversée par la guerre, la Ligue ukrainienne organise son championnat bien sûr différemment en créant des périodes de tournois durant lesquelles les clubs ukrainiens s’affrontent « parfois dans le pays quand c’est possible, autour de Lviv, tantôt en Roumanie tantôt en Pologne à Rzeszow ou Cracovie, explique l’ancien adjoint de Bruninho et Blain en équipe de France. Les matchs de coupe d’Europe (CEV Cup) vont se dérouler en Pologne et la ligue ukrainienne va aussi créer une sorte de championnat des pays de la Baltique ». Un planning bien chargé malgré la guerre.
Après avoir quitté le banc de Tourcoing, le technicien franco-brésilien a donc choisi de ne pas rester dans le championnat de France, malgré les propositions. « Retourner au Japon aurait pu être une solution mais je laisse le Japon pour un peu plus tard ! J’ai envie d’y retourner mais, bon, pas tout de suite. Alors, oui j’avais fait le tour de la Ligue AM, j’avais gagné 8 titres de champions de France avec Paris puis Tours. J’ai beaucoup hésité à prendre un club en France. Je n’arrivais pas à trouver la motivation en France car je voulais un projet vraiment différent, pour être en paix avec moi-même. Il fallait une étincelle en plus. Elle est venue d’Ukraine. »
Si son nom pouvait circuler, sous le manteau, dans une hypothétique short-list pour devenir manager de Tours, fin 2024, après le départ programmé de Pascal Foussard, la réponse fuse, tranchante : « C’est non. Je ne me sens pas encore l’âme d’un manager. C’est un poste trop politique pour moi. J’aime trop travailler avec les sportifs, en harmonie avec les managers. J’aime trop construire et ce sera le cas en Ukraine, conclut l’ex-entraîneur des Bleues. »
C’est donc un bâtisseur qui quitte le championnat de France bardé de ses 16 titres avec Goelo, Mulhouse, Villebon, chez les filles, puis Paris, Tours et Tourcoing, entrecoupé de 2 titres au Japon avec les Panasonic Panthers et ses postes avec les Bleu(e)s. Avec ce CV, le choix de Paes n’étonne pas Dorian Rougeyron, ancien entraîneur de Paris et… successeur du technicien franco-brésilien à Tourcoing : « Mauricio est un homme de projet et de défi, donc son choix ne m’étonne qu’à moitié, avoue ce proche de Paes. Il est toujours curieux et aime découvrir d’autres cultures depuis le départ de son Brésil natal. Son choix va au-delà du sportif, dans ce contexte particulier, mais il a du sens. Et quand il y a du sens, il y a toujours Mauricio. » Un choix validé en famille, comme on l’a dit, et salué par son fils, Kellian Paes, jeune passeur du Paris Volley et des Bleus lors de la VNL 2023 : « Avec ses agents et tout le monde, mon père a réfléchi à toutes facettes de ce projet dans un pays en guerre. On en a parlé car il était soucieux de savoir comment on allait prendre la nouvelle. Il est parti pour le challenge sportif et a pris en compte le fait de faire aussi attention à sa vie. Même si on a donné notre avis, la discussion principale a été entre mes parents, c’est la raison pour laquelle je suis relativement serein. Mon père est étonnant. Mais ça va aussi avec le personnage car il aime sortir de sa zone de confort. Ça lui sert dans son management. Il démontre qu’il n’y a pas d’âge pour partir et faire le choix de nouveaux challenges qui font avancer, conclut Kellian Paes ». Le choix de la vie contre la guerre. Le challenge d’une vie.