Errol Spence Jr peut marquer l’histoire de la boxe s’il s’impose face à Terence Crawford ce week-end dans le choc tant attendu pour la couronne incontestée à quatre ceintures des welters. Portrait de l’Américain champion WBC-IBF-WBO qui est aussi un miraculé de la vie après un terrible accident de voiture en 2019.

Avant le combat de sa vie, un choc contre Terence Crawford pour la couronne incontestée à quatre ceintures des welters, combat de boxe le plus attendu depuis des années, il a pris la plume sur les réseaux sociaux. Pour rappeler être conscient qu’il aurait pu ne pas être là. « Je suis reconnaissant d’être dans ma position. J’ai cru plusieurs fois que ma carrière était terminée. Mais mon histoire est loin d’être finie. » Errol Spence Jr est un miraculé. De la vie comme de la boxe. Un accident de voiture terrible en 2019 dont il aurait pu ne pas sortir vivant. Un déchirement de la rétine qui aurait pu lui coûter sa carrière tant les yeux risquent gros sur un ring.

Mais « The Truth » (son surnom) a surmonté toutes ces épreuves. Pour s’offrir un moment d’histoire avec un combat qui peut permettre au détenteur des titres WBC-IBF-WBA de devenir le premier champion incontesté à quatre ceintures de l’histoire des welters et de revendiquer le statut officieux de meilleur pugiliste de la planète toutes catégories confondues. « Je vais le briser, lance l’Américain. Je suis prêt à montrer au monde combien je suis grand. Ce combat déterminera qui est le meilleur boxeur au monde. » Spence peut marquer l’histoire du noble art avec une victoire sur Crawford. Ce n’était pourtant pas gagné au départ.

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Le futur champion du monde, enfant de la classe moyenne élevé dans son fief texan (DeSoto, ville tranquille de la banlieue de Dallas), ne vient pas à la boxe par passion personnelle. Son père, d’origine jamaïquaine, va lui forcer la main. Fan de Muhammad Ali, il traîne son fils à la salle… sans le prévenir où il va. Avant de lui donner une incitation financière pour poursuivre. « Mon père a voulu m’initier à la boxe, raconte-t-il, et je lui ai répondu:  »Euh… Non merci! » Il m’a dit:  »Tu en as besoin, essaye et je te paye ». J’ai répondu:  »Sérieusement? Vingt dollars, c’est beaucoup! » »

Le paternel a lancé la machine. Il ne le remerciera jamais assez pour ça. « Ma carrière, je la dois à mon père. C’est lui qui m’a mis sur le chemin que je devais prendre. C’est grâce à lui que je suis devenu l’homme que je suis. J’ai juste le mérite de l’avoir écouté. » Fan de la légende Oscar De La Hoya, Spence va développer ses poings dans les rangs amateurs, où il signe un bilan de 135-12. Vainqueur des célèbres Golden Gloves, trois fois champion des Etats-Unis, il échoue en quart de finale aux Mondiaux 2011 puis aux Jeux olympiques de Londres en 2012.

Ce garçon plutôt introverti en pleurera. Avant de sécher ses larmes chez les professionnels, où il débarque en novembre 2012 avec dans son sillage la comparaison de quelques spécialistes à un certain Sugar Ray Leonard, médaillé d’or olympique devenu champion dans cinq catégories chez les pros et considéré (à raison) comme un des meilleurs boxeurs de l’histoire. La construction de carrière se passe sans accroc: Spence signe un bilan de 19-0 en trois ans, avec seulement trois victoires par décision. Dans l’intervalle, une anecdote aiguise la curiosité des suiveurs du noble art. Une histoire de sparring avec l’invaincu Floyd Mayweather.

Ostéopathe de ce dernier entre 2012 et 2017, David Attias raconte à RMC Sport: « Un jour, Floyd a mis les gants avec lui et on a eu une petite surprise. Il a été malmené et Errol avait parfois l’ascendant. Floyd est quelqu’un qui maltraite ses sparring-partners, il n’y a pas de respect, mais là l’autre avait réponse à tout. Floyd ne pouvait pas placer ses contres de l’épaule, son jab au corps ou à la tête… Ça ne passait pas. Pour ce sparring, il y avait peut-être une vingtaine de personnes mais on n’était plus que cinq après le premier round. Il a fait sortir pas mal de personnes. A la fin, Floyd l’a checké en lui disant:  »Bon travail! » Pour nous, ça voulait dire que ce boxeur allait faire des dégâts plus tard. »

Un sparring ne veut pas dire grand-chose. Mais le talent est là, indéniable. Le premier gros test intervient en avril 2016 contre son compatriote Chris Algieri, ancien champion WBO des super-légers qui ne pourra éviter de prendre un TKO au cinquième round. Devenu incontournable, il part à la conquête de son premier titre mondial un an plus tard, en mai 2017. Comme pour Crawford, cela se passera en terrain hostile, à Sheffield, en Grande-Bretagne, face au local (c’est sa ville) Kell Brook. Ce dernier vient de subir sa première défaite en se faisant oblitérer par Gennadiy Golovkin mais reste un grand nom de la boxe. « Beaucoup pensaient que je ne pourrais pas détrôner Kell Brook chez lui, que c’était trop tôt pour moi, se souvient-il. Mais la boxe olympique m’a préparé à affronter n’importe qui n’importe où. J’étais prêt pour ce défi. »

Mission accomplie avec un KO en fin de combat qui lui offre la ceinture IBF des welters. L’objectif est désormais clair, annoncé: « Je veux unifier toute la catégorie ». Il va d’abord défendre son titre trois fois, la troisième dans un combat qui marque un peu plus son entrée dans le monde des combattants qui comptent pour le public. Spence fait face à Mikey Garcia, invaincu (39-0) et champion du monde dans quatre catégories, en mars 2019 dans l’énorme stade des Dallas Cowboys (NFL). Où il profite de son avantage de gabarit pour « outboxer » sur douze rounds celui que les puristes voyaient comme le meilleur boxeur des deux. La sortie suivante est l’occasion d’avancer vers son objectif d’unification.

Dans un combat accroché, conclu sur décision partagée, Spence bat Shawn Porter et ajoute la ceinture WBC à son titre IBF. Tout le monde rêve déjà depuis quelques temps d’un choc contre Crawford, le champion WBO. Mais un grave accident va freiner son ascension. Une nuit d’octobre 2019, peu avant 3h, il perd le contrôle de sa Ferrari 488 Spider dans les rues de Dallas. Le bolide dont la vitesse dépasse allégrement la limite autorisée fait plusieurs tonneaux. Ejecté car sans ceinture, Spence – qui avait bu plus tôt dans la soirée et était en état d’ivresse – est évacué dans une unité de soins intensifs. Il présente des lacérations un peu partout. Mais rien de cassé.

Miracle absolu. Dont il se vantera sur les réseaux sociaux avant de se le prendre dans la tête façon boomerang avec un public qui lui reproche d’avoir mis les autres en danger en conduisant sous alcool. L’épisode va agir comme un réveil. « A l’époque, je sortais, je buvais, je faisais la fête. C’est comme si Dieu avait frappé à ma porte pour me dire: ‘Mec, tu fais n’importe quoi!’ Cet accident a été une bénédiction, finalement. Il m’a remis sur le bon chemin, la tête à l’endroit. Parfois, je me demande pourquoi je fais tout ça. Pourquoi souffrir autant à la salle? Et puis je me dis que j’ai survécu pour une raison bien précise. Je ne veux pas que mes enfants grandissent en pensant que leur père a abandonné. Je veux leur laisser une autre image. »

Forcé de s’éloigner de la boxe un temps, il se réfugie auprès des siens et de ses chevaux. « J’ai vu que leur compagnie pouvait agir comme une thérapie pour des gens comme moi qui ont vécu un traumatisme. » Il nommera même une de ses juments… Ferrari car née le jour de l’anniversaire de son accident. Le miraculé peut revenir dans le ring un an et deux mois plus tard, en décembre 2020, pour une victoire sur Danny Garcia. Il doit ensuite affronter Manny Pacquiao, redevenu champion du monde chez les welters, pour tenter de prendre sa ceinture WBA. Mais il doit renoncer en raison d’un déchirement de la rétine de son œil gauche.

Une blessure inquiétante pour un boxeur mais qui ne l’oblige pas à prendre sa retraite. Son deuxième retour se fait en avril 2022, encore dans le stade des Dallas Cowboys, face à Yordenis Ugas, qui a détrôné Pacquiao entretemps. L’Américain met le Cubain KO. Mission accomplie: trois ceintures dans sa collection. Reste juste à aller chercher celle de Crawford. Spence n’a rien d’autre en tête. « Je suis arrivé à ce moment où je me dis:  »Je veux combattre Crawford et personne d’autre! » » Après de longues négociations, ce choc tant attendu va enfin avoir lieu.

« C’est un combat à l’ancienne, comme les chocs d’il y a quarante ans dont mon père me parlait avec les  »Four Kings ». Crawford est une bête sauvage mais moi aussi. Alors si tu nous réunis, ça ne peut que donner une guerre digne des légendes de ce sport. » Face à son rival générationnel, celui qui a déjà annoncé son intention de passer en super-welters après ce combat a de gros arguments à faire valoir. Gaucher, l’élève de coach Derrick James affiche un profil complet, versatile, avec un gros QI de combat, une belle défense et une boxe précise, efficace et qui fait mal. Le tout sur un rythme de folie avec soixante-dix coups envoyés par round, soit plus que tous les autres dans cette catégorie.

« Ce côté rouleau compresseur fait que les mecs craquent, analyse John Dovi, ancien manager de l’équipe de France olympique et consultant RMC Sport. Et il touche avec des coups durs, il fait mal. Au début, il était fort, bien techniquement, impressionnant, mais il lui manquait les choses. Avec le temps et l’expérience, il a commencé à apporter d’autres éléments et un peu plus de finesse dans sa boxe. Il choisit ses coups. Il est toujours dans ce volume mais il y a un choix et une précision des coups qu’on ne voyait pas avant, donc il est devenu encore plus dangereux. » Terence Crawford est prévenu. Mais ça marche aussi dans l’autre sens. C’est ce qui est beau quand on réunit dans le ring deux des meilleurs boxeurs de la planète.

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