« Ça m’a surpris. Je lui ai dit que ça me paraît très compliqué mais comme c’est quelqu’un de hors norme, il a raison d’essayer. » Daniel Fernandes, entraîneur de l’équipe de France masculine de judo, a beau connaître Ugo Legrand depuis l’époque des juniors, quand il a reçu son coup de fil fin juin, il a été un peu dérouté. Mais c’est aussi justement parce qu’il l’a côtoyé pendant près de dix ans que le vice-champion du monde des -73 kg en 2003 se dit : »pourquoi pas ? » « Pour quelqu’un de lambda, ça aurait été vraiment compliqué mais Ugo a du talent, une détermination hors norme et une capacité à saisir des moments : une capacité à déclencher un mouvement comme personne, il sent les choses », estime encore Fernandes.
Ugo Legrand l’a appelé pour lui annoncer son souhait de reprendre sa carrière, après huit ans d’arrêt. À 34 ans. Avec l’ambition de tenter sa chance pour une sélection pour les JO à Paris en 2024, en -73 kg. La conversation avec « Dany » Fernandes a fini de convaincre Legrand : « Dany m’a dit que c’était juste une question d’envie et de plaisir. Et si j’avais cette envie, il fallait le faire. Il a planté une petite graine et voilà… »
« Aujourd’hui j’ai la fraîcheur, la disponibilité émotionnelle, mentale, physique, même si on a l’impression qu’à 34 ans je suis un peu un ancien »
L’envie, Ugo Legrand l’a retrouvée. « L’envie d’adrénaline, de se faire plaisir, de relever un challenge. Aux yeux du grand public ça paraît un peu irréel, mais ça me paraît accessible » estime-t-il dont la dernière compétition officielle est le Grand Chelem d’Abu Dhabi en novembre 2014 (7e en -73 kg). « Aujourd’hui j’ai la fraîcheur, la disponibilité émotionnelle, mentale, physique, même si on a l’impression qu’à 34 ans je suis un peu un ancien. Avoir arrêté jeune fait que je me sens vraiment frais. Après avoir été éloigné du haut niveau pendant huit ans, je me sens ressourcé. J’ai vraiment cette flamme qui me stimule. » Opéré de l’épaule gauche en février 2015, le Normand a officialisé sa retraite le 8 octobre 2015.
Homme ouvert sur le monde et les autres, il a mis le cap sur les États-Unis, à Los Angeles pour suivre sa femme, Charlotte, maquilleuse dans la mode. Il a bien donné quelques cours de judo mais n’a pas poursuivi un entraînement de sportif de haut niveau. « J’ai été sédentaire quasiment. J’ai fait du surf, du foot, du tennis, du sport ludique avec des amis. Mais je n’ai pas pris de poids, j’ai fait très attention, je suis à 76 kilos. » Un facteur-clé aussi dans sa décision de tenter l’aventure Paris 2024 alors qu’avec sa femme, ils ont décidé de rentrer en France, estimant « avoir fait le tour » de la vie américaine. Outre-Atlantique, il a découvert le métier de « set designer », concepteur de décors pour les shootings photo, de mode, de pub notamment.
Être encore affûté physiquement a été un critère mais la tenue des JO 2024 à Paris a été l’élément déclencheur : « Les JO à Paris, ça n’arrive qu’une fois dans une vie d’athlète, c’est très tentant. Ça mènera ou ça mènera. J’ai vraiment envie d’aller chercher un défi un peu fou : aller chercher une seconde médaille olympique. Ma vie est très équilibrée et épanouie, c’est pour ça que j’ai les disponibilités mentales pour le faire. »
Référence à une des raisons de son retrait en 2015. « J’ai eu envie d’arrêter le judo après les JO de Londres. À 23 ans, j’avais atteint un rêve de gosseconfirme-t-il. Je n’avais pas envie de m’acharner éternellement. Ce que je n’ai pas fait puisque j’ai perduré deux ans après les JO où j’ai encore décroché une finale mondiale (2013) et européenne (2014). En surfant sur la préparation pré olympique, dans ma tête j’avais déjà un peu décroché. Jusqu’au jour de la saturation totale. J’étais presque à la limite du dégoût. Or, c’est un sport où il faut prendre du plaisir. Là, j’ai l’impression d’être un adolescent de seize ans. »
« On a réfléchi à comment mettre en place son projet sans lui dérouler le tapis rouge. Il a demandé l’accès à l’INSEP, il n’y avait aucune raison de lui refuser. C’est un partenaire de valeur »
L’envie de revenir a aussi été favorisée par le fait que la catégorie des -73 kg ne dispose pas en France d’un leader affirmé, même si les prétendants ne manquent pas avec entre autres Benjamin Axus, Joan-Benjamin Gaba, Orlando Cazorla voire Guillaume Chaine. « Si j’avais été en 60 kg, -66 kg, je n’aurais même pas eu l’idée d’aller challenger », reconnaît bien volontiers Ugo Legrand. Il sait que la route sera longue et le temps compté.
Côté Fédération, on a accueilli la nouvelle avec « bienveillance et curiosité », dit Bastien Puget. « Un champion qui revient, on porte considération à son projet », poursuit le DTN-adjoint en charge du haut niveau et de la performance. « C’est une décision personnelle, personne ne peut l’empêcher de faire ce qu’il veut. On a réfléchi à comment mettre en place son projet sans lui dérouler le tapis rouge. Il a demandé l’accès à l’INSEP, il n’y avait aucune raison de lui refuser. C’est un partenaire de valeur. Il ne trichera pas, va se donner à fond, si ça ne marche pas, il le dira », estime Puget qui a organisé une réunion avec l’athlète, Daniel Fernandes et Baptiste Leroy, responsable de l’équipe de France masculine.
Cet été sera consacré à se refaire un physique en priorité. Ugo Legrand sera notamment du stage à Montpellier avec le reste de l’équipe de France à partir de la mi-juillet. Son retour en compétition n’est pas prévu avant deux, trois mois, avec comme premier vrai test, les Championnats de France individuels mi-novembre à Caen. « Ce sera un premier indicateur », estime Bastien Puget. « Les -73 kg sont une catégorie où on ne sait pas ce qu’il va se passer. Il n’y aura pas de passe-droit mais les champions n’en attendent jamais. La course est ouverte, que le meilleur gagne ! », invite le DTN adjoint.