Eduqué à la dure (et c’est un euphémisme) par sa mère, miraculé après avoir pris une balle sous l’oreille, Terence Crawford s’est forgé une rage de vaincre qui l’a mené aux sommets de la boxe mondiale. Portrait de l’Américain champion WBO des welters qui s’attaque au combat de sa vie ce week-end à Las Vegas contre Errol Spence Jr pour la couronne incontestée à quatre ceintures de cette catégorie (en direct à partir de 2h dans la nuit de samedi à dimanche sur RMC Sport 1).
Rien ne lui a été donné dans la vie. Sauf la rage de vaincre. Qui pourrait le mener à l’éternité pugilistique. Ancien champion incontesté des super-légers, quatre titres récoltés en un peu plus de deux ans entre 2015 et 2017, Terence Crawford (39-0, 30 KO; 35 ans) peut faire de même chez les welters s’il bat Errol Spence Jr (28-0, 22 KO; 33 ans) ce week-end à Las Vegas dans le combat de boxe le plus attendu depuis des années, qui va pour beaucoup désigner le meilleur boxeur de la planète toutes catégories confondues. Et s’offrir un morceau d’histoire en devenant le premier combattant champion incontesté à quatre ceintures dans deux catégories différentes dans le noble art masculin (Claressa Shields a déjà réalisé l’exploit chez les femmes).
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L’apothéose d’un parcours émaillé de bagarre(s) et de violence depuis l’enfance. Né et élevé à Omaha, dans le Nebraska, région rurale des Etats-Unis mais ville qui compte aussi ses quartiers chauds et pauvres, « Bud » (son surnom) commence la boxe à sept ans. Mais il fait parler ses poings ailleurs. Dans la rue. Son père, un Marine américain, n’est jamais là ou presque. Mais maman, qui n’a « jamais aimé les câlins » et pour qui « l’amour n’est que souffrance » dixit son fils, veille au grain. Education à la dure, et même plus que ça.
« Quand il se bagarrait, quelqu’un me prévenait, j’allais l’attraper et je le traînais à la maison, raconte Deborah, sa mère. Et je lui mettais des coups de ceinture! » Elle n’hésite pas non plus à solliciter le voisinage pour tester le futur champion du monde. « Je payais des gamins pour se battre avec lui. Je leur disais: »Si vous arrivez à mettre une raclée à Bud, je vous donnerai dix dollars chacun ». Des gamins du quartier relevaient le défi. Mais personne ne le battait. » Sa mère conclut: « Je voulais faire de lui un homme ».
Elle va surtout faire de lui un combattant. « A force, ça ne me faisait plus rien, explique le boxeur. Ça m’a rendu insensible à la douleur. Une rage est née en moi. A chaque fois que j’entre sur un ring ou que j’entreprends quelque chose, j’ai la rage de vaincre. Pour lui donner tort. » Entre les cordes, le gamin affiche la même hargne. « Il montrait beaucoup de cœur et il ne s’arrêtait pas, témoigne son premier entraîneur. On a dû lui dire: »Hé, c’est de la boxe! Tu n’es pas dans la rue ici! » On a dû le calmer mais on a vu qu’il avait du cœur. »
« Je faisais pleurer les autres gosses, appuie Crawford. Alors le coach m’a surclassé. Je me faisais dominer et ça me rendait dingue. Il me répondait: »Utilise ton jab, ta technique! » Et je lui disais: »Utiliser quoi? Je sais juste me bagarrer! » » Canalisé par la boxe, le jeune Terence grandit et s’endurcit. Jusqu’au jour où il éteint son passé en un geste. « A treize ans, se souvient sa mère, il m’a dit: »Maman, tu ne me frapperas plus jamais ». Et il m’a pris la ceinture. »
Crawford, qui s’essaie aussi avec succès à la lutte, tradition familiale reprise aujourd’hui par ses propres enfants, se lance dans une carrière chez les amateurs. Où il va combattre soixante-dix fois pour douze défaites – il battra notamment les futurs champions du monde professionnels Mikey Garcia et Danny Garcia – et être un temps classé meilleur léger américain mais sans parvenir à se qualifier pour les Jeux Olympiques de Pékin en 2008. La bascule vers le monde pro se fait en mars de cette année-là. Où un événement va changer sa vie.
En septembre 2008, peu avant ses vingt-et-un ans et après quatre victoires en cinq mois dans des combats en quatre rounds, Crawford va voir la mort de près. Au lieu de partir s’entraîner, sa première idée ce soir-là, il préfère rejoindre son entourage des rues d’Omaha pour une partie de dés à la lumière d’un néon. Après avoir accumulé les gains, il monte dans sa voiture pour repartir. Mais prend d’abord le temps de compter ses billets alors que la partie continue à côté de son véhicule. Qui va alors être la cible d’une balle de 9 millimètres qui ne le visait pas – elle était destinée à un membre du groupe avec qui il avait joué – mais qui le touche juste en-dessous de l’oreille.
« Il y avait du sang partout », raconte-t-il. A quelques millimètres près, Crawford aurait pu y rester. Il se conduit lui-même à l’hôpital, passant des appels à sa mère et à son coach Brian McIntyre sur la route, d’où il ressort quelques heures plus tard. Avec un état d’esprit transformé. Entre cet épisode et la naissance de son fils peu après, le boxeur américain comprend qu’il doit modifier des choses pour réaliser tout son potentiel. « Il a changé de vie après ça, se souvient McIntyre. Il a compris que tout pouvait arriver dans la rue. Il a changé de potes, changé ses habitudes. Il s’est plus consacré à la salle et à sa carrière. » « Ça a été un déclic », confirme l’intéressé.
Crawford empile les KO jusqu’à cumuler un bilan de 22-0 (avec seulement six succès à la décision) et monte dans les classements. L’heure de son premier championnat du monde a sonné. Il faudra aller le conquérir en terrain hostile, à Glasgow, chez l’Ecossais Ricky Burns, à qui il prend la couronne WBO des légers sur décision unanime en mars 2014. Trois mois plus tard, il tamponne son statut en mettant TKO le Cubain Yuriorkis Gamboa, qui affichait comme lui un bilan de 23-0 et 16 KO, dans un choc spectaculaire et engagé devant les siens, à Omaha, qui accueille grâce à lui son premier combat pour un titre mondial depuis Joe Frazier contre Ron Stander en 1972.
Lors de sa défense de titre suivante, face au Mexicain Raymundo Beltran, il ajoute la ceinture L’anneau des légers, titre ultra légitime aux yeux des spécialistes qui désigne le meilleur combattant de la catégorie. L’Américain s’attaque ensuite aux super-légers. La WBO permet à ses champions d’avoir tout de suite une chance pour le titre dans la catégorie supérieure s’ils décident de monter. Crawford saisit l’opportunité et inflige un TKO au Portoricain Thomas Dulorme en avril 2015 pour prendre la ceinture vacante. Deux ans et quatre mois plus tard, période durant laquelle il va faire huit heures de prison (en 2016) pour avoir mal réagi à la gestion de sa voiture dans un garage, « Bud » a nettoyé la catégorie en ajoutant les titres WBC, WBA, IBF et L’anneau à sa collection pour devenir le premier champion incontesté à quatre ceintures de l’histoire chez les super-légers après avoir mis KO Julius Indongo dans son Nebraska natal.
Grâce à la règle WBO, il combat pour le titre des welters de cette organisation dès le combat suivant et détrône l’Australien Jeff Horn – qui avait conquis son titre face à un certain Manny Pacquiao – sur TKO en juin 2018. Depuis, il a défendu six fois sa ceinture (Jose Benavidez Jr, Amir Khan, Egidijus Kavaliauskas, Kell Brookn Shawn Porter et David Avanesyan) et cumule désormais dix-sept combats et autant de victoires pour une ceinture mondiale en trente-neuf sorties professionnelles, ce qui le place sur le chemin de Floyd Mayweather et ses vingt-six championnats du monde victorieux en cinquante combats. Mais il lui manque encore LA victoire qui va définir sa carrière. Celle qui le placerait parmi les plus grands de la riche histoire du noble art.
Il faudra l’obtenir face à un nom contre qui on l’attend depuis sa montée chez les welters, Errol Spence Jr, qui détient les trois autres titres de la catégorie et qui cherche la même chose. « On est comme deux partenaires de danse, analyse son rival. Ce combat était inéluctable. » « Je vais montrer au monde que je suis le meilleur boxeur de la planète, lance Crawford. Je me suis préparé toute ma vie pour ce moment. Personne ne m’arrêtera. C’est mon ère. » Le garçon a les armes pour conquérir son Graal. Maître du changement de garde en cours de combat, avec la capacité rare d’être presque aussi efficace en droitier qu’en gaucher même s’il ne possède pas les mêmes qualités d’un côté ou de l’autre, roi du contre qui éteint un adversaire trop agressif et qui lui a laissé une ouverture, « Bud » propose une grande intelligence de combat qui lui permet de s’adapter à ce que présente l’adversaire.
Il peut être méthodique, avec le jeu de jambes, le jab et les combinaisons pour gagner en boxeur, mais il sait aussi devenir méchant quand il sent l’odeur du sang et du KO. De quoi en faire un extraordinaire finisseur, la preuve avec ses dix KO/TKO de rang, série en cours qui prouve combien il s’est bien adapté aux welters. Destiné à rejoindre le Hall of Fame de la boxe, Terence Crawford est un homme de peu de mots, bien dans la nature de cet amateur de pêche. On le voir rarement dans les médias, il n’est pas très chambreur (dans une vidéo où ils se jugent l’un l’autre avec Spence, ce dernier lui donne quelques notes basses pour chambrer alors que lui reste honnête tout le long). Mais ses poings parlent pour lui. Ses trente-neuf derniers adversaires peuvent confirmer. « Je veux montrer Errol Spence Jr pourra peut-être bientôt ajouter son témoignage.